Mystère des pharaons : Pourquoi les élites de l'Égypte ancienne modifiaient-elles les cornes de leurs moutons ?

À gauche : Crâne de mouton T54-1 montré de (a) face et (b) côté gauche. Caractéristiques principales : (1) zone surélevée entre les cornes, (2) dépression avec perforation. À droite : Crâne de mouton T54-2 montré de (a) face et (b) côté gauche, avec un gros plan de la zone osseuse frontale entre les bases des noyaux de cornes. Caractéristiques principales : (1) zone lisse sans suture, (2) dépression de l'os frontal, (3) rétrécissement des noyaux de cornes. Crédit : Journal of Archaeological Science (2024). DOI : 10.1016/j.jas.2024.106104

Des archéologues, dont le Dr Wim van Neer, le Dr Bea De Cupere et le Dr Renée Friedman, ont publié une étude dans le Journal of Archaeological Science concernant les plus anciennes preuves physiques de modification des cornes du bétail, ainsi que la première observation de telles modifications chez les moutons. Ces découvertes, faites dans le complexe funéraire élite de Hiérakonpolis, en Haute-Égypte (vers 3700 av. J.-C.), montrent que six moutons présentaient des traces de déformation de leurs cornes, ajoutant un chapitre à l’histoire de la modification des cornes en Afrique, qui était jusqu’à présent surtout associée au bétail.

Selon le Dr van Neer, « C'est la première preuve physique de la modification des cornes chez le bétail. Cette pratique existait également chez les bovins, mais pour cette période précoce, elle n'est attestée que par des représentations dans l'art rupestre. »

Les moutons ont été introduits en Égypte en provenance du Levant vers le 6e millénaire avant notre ère et sont devenus l'une des principales ressources animales du pays au 5e millénaire. Ils sont souvent représentés sur des jarres, des reliefs sculptés et des vases rituels. Ces représentations montrent que les premiers moutons d'Égypte étaient de la variété à cornes en forme de spirale.

Ces moutons à cornes en spirale ont ensuite été intégrés dans les hiéroglyphes et sont devenus une partie de l’iconographie religieuse, notamment sous la forme de dieux à tête de bélier. Cependant, au cours du Moyen Empire, les moutons à cornes en croissant, pointant vers l'arrière, ont commencé à apparaître en Égypte. Avec le temps, cette variante a totalement remplacé les moutons à cornes en spirale.

Les fouilles à Hiérakonpolis, à environ 100 km de l'actuelle Louxor, ont révélé un complexe funéraire élite où les dirigeants étaient enterrés dans des tombes élaborées avec des animaux sauvages, et parfois exotiques, comme des bovins, des chèvres, des crocodiles, des autruches, des léopards, des babouins, des chats sauvages, des éléphants, des hartebeests, des hippopotames et des aurochs. Parmi ces animaux, des moutons étaient également enterrés. Dans les tombes 54, 61 et 79, des chercheurs ont découvert les crânes de six moutons dont les cornes avaient été modifiées. Certaines cornes avaient été complètement enlevées, d’autres pointaient vers l’arrière ou étaient parallèles et légèrement tournées vers le haut.

Une analyse plus poussée des restes a également montré que certains de ces moutons avaient été castrés, comme en témoignent la forme allongée de leurs os et la présence de os non fusionnés, ce qui les rendait plus grands que les moutons non castrés.

Les modifications des cornes résultaient de fractures provoquées à la base des noyaux de cornes. Le crâne était fracturé, repositionné et maintenu en place pendant quelques semaines jusqu’à la guérison des fractures. Cette conclusion a été tirée des dépressions observées à la base des noyaux de cornes et de l’amincissement inhabituel de l’os dans cette zone, caractéristiques de fractures, ainsi que des constrictions visibles sur les côtés des noyaux, indiquant qu'ils avaient été attachés pour maintenir les cornes en place.

Des groupes agro-pastoraux africains, comme les Pokot du Kenya, pratiquent encore aujourd’hui une méthode similaire de modification des cornes, en particulier sur les chèvres vers l'âge d'un an.

Lorsqu’on lui demande pourquoi les élites de Hiérakonpolis auraient voulu modifier les cornes de leurs moutons, le Dr van Neer répond : « Cela montre que les dirigeants enterrés dans le cimetière élite voulaient afficher leur pouvoir, non seulement en gardant des animaux sauvages et exotiques (babouins, éléphants, hippopotames, crocodiles, aurochs...), mais aussi en modifiant leurs animaux domestiques. »

Les moutons castrés étaient ainsi plus grands que la moyenne des moutons élevés pour la consommation. De plus, leurs formes étaient modifiées en forçant les cornes vers le haut ou en les enlevant. Ces deux procédés permettaient de rendre ces « animaux ordinaires » « spéciaux ».

En modifiant les cornes des moutons, non seulement leur apparence changeait, mais cela pouvait aussi symboliser la capacité des élites à contrôler et manipuler la nature elle-même, un concept profondément important dans l’Égypte prédynastique, comme en témoigne leur acquisition et leur inhumation d’animaux sauvages et dangereux tels que les éléphants et les babouins.

Les chercheurs suggèrent aussi que ces moutons modifiés pourraient avoir été conçus pour évoquer l'addax (Addax nasomaculatus) avec ses cornes spiralées dressées, souvent perçues comme un symbole du renouvellement de la vie et de l'ordre sur le chaos.

Il est certain que ces moutons étaient spéciaux et qu'ils n'étaient probablement pas élevés pour la consommation, comme en témoignent leur castration et leur âge (6 à 8 ans), ce qui était inhabituel, car la plupart des moutons destinés à la consommation sont abattus à 3 ans.

Les chercheurs poursuivront leurs fouilles à Hiérakonpolis. Le Dr van Neer note : « Nous resterons attentifs à d’autres exemples de modification des cornes sur le site de Hiérakonpolis ; en particulier, nous voulons savoir si cette modification des cornes était aussi pratiquée sur les bovins et les chèvres. »

Sources : Journal of Archaeological Science (2024)

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